Quelques pistes
Assemblages
La question de l’assemblage est au cœur de l’approche de Sentier et elle dépasse la simple dimension technique. Il considère les pratiques artistiques comme des productions d’assemblages, c’est-à-dire des recherches visant à établir des liens, des attachements, des jonctions, des associations entre diverses choses récupérées ou rencontrées au gré de l’expérience. Il peut s’agir de matériaux, d’objets, d’images, de représentations, mais aussi de manières de faire et d’idées.
Les individus entrent en relation les uns avec les autres et ils évoluent dans différents contextes, ce qui permet d’engranger des souvenirs épars, des bribes de savoirs et des connaissances qui interagissent avec les différentes potentialités dont chacun hérite à la naissance. Dans ce sens il est possible de dire que tout individu est un assemblage.
Le monde entier lui-même peut également être envisagé comme un assemblage sans cesse en train de naître et de disparaître simultanément, se disloquant sans relâche, générant ainsi des discontinuités tout en créant de nouveaux liens. Ce qui s’assemble finit toujours par se fragmenter, produisant de cette façon de la matière et des éléments pour de futures combinaisons.
Un assemblage n’est pas un collage, chaque partie qui le constitue reste autonome et peut à tout moment se séparer de l’ensemble et être remplacée par autre chose. Rien n’est stable, chaque chose est en devenir. Pour Sentier une œuvre-assemblage est une production qui tente de représenter l’instable et l’éphémère sans voile ni masque.
La technique de l’assemblage permet à l’artiste de rester disponible à toutes les modifications et à tous les ajustements qui peuvent survenir lors de la mise en œuvre et de contourner la problématique de l’achèvement de la réalisation.
À propos des techniques
Sentier assemble entre elles les techniques par combinaison de matériaux, d’outils et de procédés. Les savoir-faire classiques ou traditionnels, comme la gravure taille-douce et ses dérivés, comme les différentes manières de sculpter par moulage, façonnage ou taille, ou encore le dessin sur papier, toutes ces techniques ont, ces dernières années, rencontré chez lui les possibilités nouvelles de spéculation formelles offertes par la digitalisation. La retouche numérique des images, la création d’objets virtuels et d’images de synthèse sont des sources de réflexions et de spéculations pour Sentier, car elles permettent de simuler et de varier les propositions visuelles autour d’une même idée. Toutefois la relation aux écrans reste pour lui très problématique.
Quelles que soient les techniques qu’utilise Sentier, qu’elles soient actuelles ou virtuelles, la reproductibilité des œuvres est un souci central pour lui, et ceci aussi bien dans ses activités d’enseignement que dans ses réalisations personnelles. Le souci de l’authenticité de l’œuvre, de sa singularité, de son unicité entre en rapport direct avec cet aspect très important pour Sentier de l’autonomie individuelle, c’est-à-dire du refus des uniformisations. Ses pratiques de l’estampe et de la photographie par exemple sont animées du même refus de ce qu'on pourrait appeler la banalisation du visible qu’induit la circulation planétaire de plus en plus massive et pléthorique des images numérisées. Pour lui, un artiste se doit de chercher à produire des objets à l’échelle humaine, pleinement présents dans la vie quotidienne, dans le champ de l'expérience sensible, un objectif très difficile à atteindre actuellement.
L’art, l’économie et la politique
L’art est indissociable de l’économie, c’est-à-dire des manières de vivre en commun, des modalités d’échanges. Participer à la création de liens entre l’art et les pratiques actuelles en matière d’économies collaboratives et contributives est un propos très présent dans les préoccupations de Sentier, même si la mise en pratique de cette idée lui semble de plus en plus compliquée. Se contenter de produire des images et des objets pour simplement les faire circuler dans les réseaux établis de l’art lui semble insuffisant, et il pense que l'art est un commun auquel chaque personne devrait être initiée dès le plus jeune âge. Les gens habités par ce qu’on pourrait appeler un esprit créateur n’ont pas tous étudié l’art à l’école et ne le pratiquent pas tous, tant s'en faut.
L’art est un espace de liberté dans lequel d’autres façons d’envisager le politique sont expérimentées par les artistes, consciemment ou non, surtout lorsque ceux-ci opèrent des choix sans autres contraintes que celles qu’ils s’imposent à eux-mêmes. Les pratiques artistiques sont des laboratoires de spéculation libre dans lesquels sont explorées de nouvelles manières de travailler, de coopérer et de créer qui pourraient servir d'exemples, de modèles, d'échantillons pour fonder d'autres conditions de production. Pour Sentier, il serait nécessaire de s’inspirer des modes de création indépendants et singuliers des artistes pour inventer des outils permettant aux individus, quelles que soient leurs activités, de trouver de réels espaces de liberté dans les rapports humains. Selon lui, la nécessaire recherche d'autonomie des artistes permet l’émergence de procédés de réalisation parmi lesquels il serait profitable de puiser des pistes pour contourner, voire rejeter tous ces processus sociaux infantilisants et toutes ces représentations désincarnées qui entravent les imaginaires.